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Pourquoi un sage d’un autre temps nous parle encore

Par Zhao Ruixue et Randy Wright(China Daily) 29-11-2019

Pourquoi un sage d’un autre temps nous parle encore

Représentation artistique de Confucius en surimposition d’une image des Analectes du philosophe, extraits des grottes de Dunhuang, dans la province du Gansu. [Jin Ding/China Daily]

Nombreux sont les Chinois qui savent peu de choses sur Confucius, lequel continue cependant d’exercer une profonde influence sur leur culture.

Lors d’une cérémonie commémorant le 2 570ème anniversaire de la naissance de Confucius à Qufu, dans la province du Shandong, des centaines d’étudiants et d’habitants ont récité des citations classiques empruntées aux entretiens, dits Analectes, du vieux sage. Plus de 2 000 personnes, dont des responsables de l’UNESCO, des universitaires et des descendants de Confucius ont assisté à cette cérémonie, qui présentait des danses rituelles exécutées par des interprètes en costumes datant de la dynastie Han (206 avant notre ère-220 de notre ère).

Des cérémonies du souvenir ont été organisées le même jour dans plus de 30 temples confucéens dans tout le pays, ainsi que dans des villes étrangères, notamment à Tokyo, ce qui témoigne de l’étendue de l’influence exercée au-delà de la Chine par le philosophe du peuple, dont les idées sont devenues des articles de foi nationale.

Et pourtant, Confucius demeure une énigme pour de nombreux Chinois. Ils savent qu’il est un élément important de leur culture, mais ne peuvent qu’avancer quelques références à une poignée des principes sociaux qu’il prônait. La plupart des gens ont appris des choses sur lui à l’école mais ne sont pas très éduqués sur son influence actuelle dans la Chine moderne en pleine évolution.

La montée en flèche de la réputation du sage dans l’histoire du pays a fourni une cible aux attaques idéologiques dont il a été l’objet pendant « la révolution culturelle » (1966-76), mais au cours des dernières décennies, on a assisté à un retour en grâce encouragé par le gouvernement. Confucius est réapparu comme un personnage central quand il s’agit de définir ce que signifie être chinois.

Mais si nombre de gens manifestent un intérêt de façade pour Confucius, ressentent-ils réellement sa présence dans leur vie quotidienne ? Ou représente-t-il simplement une sorte de décoration nationale, telle une plante reléguée dans un coin de leur salon ? On sait qu’elle est là, mais personne n’y fait vraiment attention.

Ce n’est pas une mince affaire. En fait, Confucius est présent au plus profond de l’âme des Chinois ordinaires, qu’ils s’en rendent compte ou non.

Tel un signal radio puissant et constant, ou une onde porteuse émanant d’un passé lointain, l’essence de l’identité chinoise a survécu aux périodes tumultueuses, malgré quelques interférences bruyantes.

« C’est une bien belle métaphore », remarque Roger T. Ames, un spécialiste de Confucius dans la section de philosophie de l’université de Pékin. « Pendant les 10 années du cauchemar national, ils ont tenté de déraciner l’ancienne tradition, de l’extraire du sol. Mais quelques années plus tard, elle a repoussé. C’est comme la pluie dans le désert. Cette pulsion indigène, le signal – est si fort qu’on ne peut simplement pas l’ignorer. C’est là dans le langage. C’est dans les gens, dans les institutions, dans la famille, dans les rapports que les gens entretiennent entre eux ».

La montée en puissance spectaculaire de la Chine trouve une explication partielle dans la prise en compte des fondements sociaux anciens du pays et des fils culturels qui relient ses habitants. Confucius a joué un rôle déterminant dans le tissage de ces fils pour en faire un tissu national : il a cristallisé les principes de cohésion nationale et de lubrification des rouages de la société qui avaient évolué en Chine pendant des siècles avant lui. Chose cruciale, ces principes ont été couchés par écrit, perpétuant ainsi ses idées à travers l’arche du temps et faisant de lui l’oracle d’une nation.

C’est Confucius (551-479 avant notre ère) qui a replacé au ras du sol les notions de bien et de mal tirées des œuvres plus abstraites du philosophe Laozi (604-531 avant notre ère) et les a livrées aux gens ordinaires dans une forme simple, brute de décoffrage qu’ils pouvaient comprendre.

Son impact sur la Chine est sans doute plus grand que celui d’aucun autre intellectuel.

« Il est extrêmement important de faire ce lien entre le passé et le présent en Chine », assure M. Ames en ajoutant que les gens sont « profondément conscients » de l’onde culturelle qui est ancrée dans le caractère chinois.

Et d’élaborer : « C’est tihui (compréhension par intuition). C’est tiyan (compréhension par raisonnement). C’est quelque chose qu’on appréhende par la pratique, par le langage, par l’expérience. C’est un mode de pensée. Peut-être les gens ordinaires n’ont-ils pas les mots pour l’exprimer, mais c’est la façon dont ils vivent leur vie. En premier lieu, c’est l’idée qu’aujourd’hui est meilleur qu’hier ; que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Il y a donc là une sorte d’optimisme ».

Zhang Jun, un surveillant de chantier de 33 ans vivant à Jinan, dans la province du Shandong, ne parvient pas vraiment à mettre le doigt dessus, mais il ressent incontestablement le pouvoir du signal culturel transmis par Confucius. « Je ne peux parler de façon précise de la manière dont cela influe sur ma vie, mais c’est là. Tout le monde le sait. Des milliers d’années plus tard, Confucius est encore cité par les gens. Ses proverbes se voient dans toute la ville, sur les bus par exemple ».

Guo Jiulin, 51 ans, professeur d’études américaines à l’université Minzu à Dalian, dans la province du Liaoning, ressent lui aussi l’onde culturelle porteuse. « En tant que philosophie de la Chine ancienne, remarquable par son étendue et sa profondeur, le confucianisme joue – inconsciemment – sur le comportement de chaque personne chinoise prise individuellement depuis plus de 2 000 ans ».

Ce qui ressort pour M. Guo, ce sont les doctrines de la formule « ne pas faire aux autres ce que tu ne voudrais pas que les autres te fassent », et l’importance de cultiver son caractère moral. « De cela, je retiens que si une personne souhaite réaliser son ambition sociale, elle doit d’abord et avant tout perfectionner son propre caractère moral et être stricte avec elle-même, en paroles et en actes ».

Pour M. Ames, de telles attitudes sont le signe que la Chine est en train de retrouver son identité ancienne et de se remettre en harmonie avec sa propre onde radio culturelle, évitant par là même de s’inspirer exclusivement de l’Occident. « Avec la montée de la Chine au cours de la dernière génération apparaît cette notion de zixin, de confiance », note-t-il en ajoutant que si les jeunes ont tendance à considérer l’Occident comme un symbole de modernité, cela ne sera pas toujours le cas.

M. Ames juge utile l’application d’une démarche confucéenne dans le traitement des problèmes planétaires. « Je ne dis pas que le confucianisme est la solution mais qu’il mérite un siège autour de la table, qu’il a des choses importantes à dire au monde quand il s’agit de repenser ce que cela veut dire d’être humain dans le contexte des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ».

Pourquoi un sage d’un autre temps nous parle encore

Exécution d’un rituel commémorant le 2 570ème anniversaire de la naissance de Qufu, dans la province du Shandong, le 28 septembre. [Yang Guoqing/for China Daily]

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