La France et la Chine apportent la preuve que la modernité occidentale est compatible avec la modernité chinoise ; elles font mentir le discours sur l’inévitabilité de la guerre ; elles sont à l’avant-garde de la construction conjointe d’une communauté de destin pour l’humanité.
C’est une longue succession d’événements façonnés par des hommes de vision, et c’est la convergence des efforts visant à une meilleure civilisation qui expliquent la profonde amitié liant les deux pays par-delà le passage du temps.
« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera », déclaration attribuée à Napoléon Bonaparte (1769-1821) mais qu’il n’a probablement jamais prononcée, a donné lieu à un cliché trompeur.
Lors d’une conférence de presse le 9 septembre 1965, Charles de Gaulle (1890-1970) a lui présenté une vision beaucoup plus nuancée : « On voit bien qu’il y a tout un ensemble de faits, d’une immense portée qui disons est à l’œuvre, actuellement pour repétrir l’univers. […] Il y a la profonde gestation qui se produit dans l’énorme Chine et qui la destine à un rôle mondial de premier plan. »
Le temps a confirmé la prédiction de De Gaulle : la renaissance chinoise a modifié la répartition de la puissance dans le monde de manière progressive et pacifique, sans discontinuité brutale ni perturbation violente.
Le 27 janvier a marqué le 55ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine. D’un point de vue français, la pleine reconnaissance du gouvernement de Pékin était avant tout la décision d’un seul homme – de Gaulle, l’un des plus grands hommes d’État français et un colosse de la scène politique mondiale du 20ème siècle.
Sa perspicacité et sa pensée stratégique ne sont pas seulement à l’origine d’une relation spéciale entre Paris et Pékin ; l’esprit de sa décision historique reste un point de référence pour l’avenir de la coopération sino-française.
Depuis les relations au sommet mais distantes entre l’Empereur Kangxi (1654-1722) et le Roi Louis XIV (1638-1715) jusqu’à la collaboration entre Zuo Zongtang (1812-1885) et Prosper Giquel (1835-1886), ou l’action menée dans le domaine éducatif par Li Shizeng (1881-1973) et Édouard Herriot (1872-1957), les francophiles chinois ont toujours répondu à l’appel des sinophiles français.
Le monde a changé de façon significative au cours des cinq dernières décennies, mais les mutations n’ont pas radicalement altéré la pertinence du gaullisme qui reste, dans sa plus haute expression, un effort pour adapter l’action aux permanences historiques.
De Gaulle pensait et agissait à la lumière de la grandeur, une notion qui est au cœur du caractère national de la France. Le poids relatif de la puissance française varie, et il est certainement allé en diminuant par rapport à la résurgence de la Chine, mais l’idée que se fait la France du rôle singulier qu’elle a à jouer est constante.
La Chine, qui a connu au cours des millénaires une prodigieuse opération de synthétisation pour unifier un cinquième de l’humanité, va maintenant appliquer sa capacité d’harmonisation à une échelle mondiale.
Animée par une volonté délibérée de rayonnement, la France vise à fédérer autour de ce qu’elle conçoit et énonce comme un projet pour elle-même et ce qui l’entoure. En revanche, l’impact de la Chine se fait sentir par gravitation – le
« pays du milieu » attire de par sa masse démographique et la continuité de sa civilisation.
Comme ils se font la plus haute idée d’eux-mêmes, pris collectivement, les Chinois et les Français sont particulièrement sensibles aux aléas de leur fortune et, quand les inévitables vicissitudes de l’histoire réduisent la grandeur ou la centralité à une simple représentation nostalgique, le sentiment d’une perte peut être pour eux plus aigu que pour d’autres corps politiques.
Au-delà des contingences des relations sino-françaises, des gouvernements qui se succèdent ou des conditions politico-économiques qui évoluent, Paris et Pékin, préoccupées par la destinée de l’humanité, estimeront toujours nécessaire de proposer une grandeur explicite et une centralité implicite.
Au 21ème siècle, il leur faut coordonner le « rêve chinois » de renaissance et ce que l’ancien ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius appelait, à propos de son pays, la puissance d’influence.
De manière quelque peu ironique, l’écart grandit entre la représentation que la France se fait d’elle-même et le poids de sa puissance relative, ce qui contraste donc avec la centralité chinoise qui devient de plus en plus évidente.
Toutefois, l’évolution mondiale ne diluera pas l’exceptionnel patrimoine français ni la contribution de la France à l’édification de l’Europe et, plus généralement, c’est précisément au milieu des circonstances les plus périlleuses que l’idéal de grandeur peut redynamiser un pays aux ressources immenses.
Les synergies entre la centralité chinoise et la grandeur française sont plus que l’affirmation de deux identités politiques distinctes. Ce sont des impulsions exprimant le nouvel humanisme d’une renaissance mondiale, elles lient l’Orient et l’Occident autant que le Nord et le Sud ; ce sont les manifestations d’un universalisme concret.
* Fondateur du Forum Europe-Chine, David Gosset est l’auteur du livre « Limited Views on the Chinese Renaissance ».