Les pousses de bambou qui ne sont pas traitées dès leur récolte se dégradent rapidement. [Provided to China Daily] |
Autour d'une herbe à forte croissance, la gastronomie chinoise exploite le besoin ressenti d'une alimentation saine où se mêlent recettes culinaires traditionnelles et orientales, ingrédients régionaux et internationaux.
La futaie de bambous dans notre jardin profite trop bien des pluies printanières qui les font pousser plus vite que nous ne pouvons les récolter. Une journée de retard voit les fines pousses gagner 50 centimètres de plus, ce qui les rend fibreuses et immangeables. Prises alors qu'elles sortent de terre, les pousses de bambou sont tendres, juteuses et pleines d'arômes.
Le bambou pousse partout en Chine, et malgré sa haute taille, c'est en réalité une herbe qui grandit rapidement et recouvre de vastes étendues dans toute la Chine du sud et du sud-ouest.
Il constitue un matériau adaptable à usages multiples, depuis la construction de maisons entières jusqu'à la fabrication de paniers en passant par celle de cages à grillons. On le retrouve dans la composition de mobilier tel que des ensembles complets de tables et de chaises, ainsi que d'échelles, de sarclettes, de plateaux ou de coussins de toutes sortes. Infinis, ses usages sont parfois inattendus.
Le Sichuan, par exemple, a fait d'objets minuscules, délicats et en forme de cuillères, une spécialité conçue pour le nettoyage de l'intérieur des oreilles.
En dehors de son large éventail d'utilisations pratiques, le bambou produit des pousses qui constituent un ingrédient exceptionnellement chinois rarement utilisé dans d'autres cuisines. Certes, la gastronomie coréenne et la japonaise emploient des pousses de bambou, mais personne ne les cuisine comme un chef chinois.
Les orages du printemps réveillent les forêts de bambou. Alors que la pluie pénètre dans le sol, les pousses en sommeil, recroquevillées, qui ont passé tout l'hiver sous terre, commencent à enfler et leur tête, à émerger.
Avant même que les tendres pointes ne percent la surface du sol, elles sont vite repérées et récoltées. Ces « pousses d'hiver » grasses sont bouillies pour éliminer le résidu d'alkali blanc en leur centre et débarrassées de leurs feuilles extérieures immangeables.
Passées à une eau légèrement salée, elles se conserveront plus longtemps, avant d'être mises en boîtes ou en bocaux pour réapparaître, dans les foyers et les restaurants, sous la forme des fines tranches couleur crème que nous connaissons tous.
Les pousses de bambou doivent être traitées dès leur récolte, sinon elles se dégraderont rapidement après avoir été extraites du sol. Dans la Chine du sud-ouest, les montagnes de la région autonome du Guangxi Zhuang produisent de minces pousses de bambou récoltées quand elles ne mesurent que 10 centimètres.
Ces petites pousses sont extraites dans les collines et acheminées par un système de poulies dans la vallée où une chaîne humaine de production s'affaire à en ôter immédiatement les feuilles et à les saumurer. Il s'agit là des fameux suansun, les pousses de bambou salées et acidulées qui accompagnent chaque bol de pâtes dans la région.
Des pousses de bambou préparées à la main, ou shoubaosun. [Provided to China Daily] |
Plus près de la zone de Suzhou, dans la province du Jiangsu, et dans la province du Zhejiang, des pousses tout aussi tendres sont saumurées en entier dans du sucre et du sel pour produire les renommées « pousses de bambou épluchées et découpées à la main », ou shoubaosun, qui se mangent comme un coupe-faim froid ou en accompagnement d'une bouillie (« porridge ») de millet ou de haricots.
Les Cantonais mangent des pousses de bambou tout au long de l'année, depuis les nouvelles pousses d'hiver jusqu'aux morceaux saumâtres de pousses précoces cuites dans une liqueur amère et servis sur un lit de glace pilée.
Les pousses de bambou sont coupées finement en cubes et utilisées dans les raviolis chinois traditionnels pour y ajouter du croquant et de la douceur. On les retrouve aussi dans les « dim sum » cantonais, où elles sont un accompagnement essentiel de ces petits mets.
Le plat de bambou favori de ma grand-mère cantonaise était le bambou braisé en conserve pour accompagner de la poitrine de porc mijotée dans un assaisonnement salé et fermenté, à base de fromage de soja.
Les pousses étaient achetées à Chinatown et ressemblaient aux restes momifiés d'un objet inconnu à leur arrivée. Il fallait les tremper à répétition pendant des jours pour en éliminer le fort relent d'ammoniaque. Au bout de quatre jours, peut-être plus, les pousses de bambou commençaient à reprendre leur allure naturelle. Elles étaient alors placées dans de l'eau bouillante pendant une heure puis égouttées avant d'être une dernière fois plongées dans de l'eau froide.
La viande de porc est saisie sur un wok pour en faire rendre le gras, puis on y joint les pousses de bambou. Pour finir, on dissout dans du vin chinois quelques portions de fromage de soja caillé que l'on ajoute dans la mijoteuse.
C'est alors que l'alchimie se produit. Les pousses de bambou, le gras du porc, le vin et la sauce sont réduits et se transforment par émulsion en une mixture qui met l'eau à la bouche.
Le porc fond dans la bouche, et les pousses de bambou conservent leur croquant mais absorbent toute la douceur de la viande par une osmose magique, et dans notre famille le plateau est nettoyé à fond en un rien de temps, sans parler des grands bols de riz blanc cuit à la vapeur.
C'est un plat dont la confection prend du temps – une semaine du début à la fin –, mais c'est un plat qui n'a jamais été aussi savoureux.
Les pousses de bambou sont également très demandées dans le Sichuan, où elles sont émincées, saumurées dans de grands pots et recouvertes de chili haché d'un rouge éclatant ainsi que d'huile de chili. En conséquence, elles regorgent de saveurs umami, et une petite soucoupe de cette concoction fera descendre un très grand bol de pâtes, de riz ou de « porridge ».
Il faut un excellent chef pour extraire de telles succulences d'une fade petite pousse de bambou, mais il est vrai que le chef chinois a toujours eu suffisamment de talent pour faire des ingrédients les plus ordinaires une ambroisie.
Des pousses de bambou saumurées et frites, ou suansun, avec des lamelles de porc. [Provided to China Daily] |