Les platanes français de « Xinhua Road » comme celui-ci sont tout autant le symbole de Shanghai que la silouette des gratte-ciels de la ville. [Gao Erqiang/China Daily]
Les platanes de Shanghai sont plus que des arbres – partie intégrante de la société, ils content l'histoire des voies qu'ils bordent.
L'apparition de petits bourgeons sur les branches et les taches de rousseur qui prennent de la couleur sur les troncs des platanes omniprésents de Shanghai ne sont que les signes subtils de l'arrivée du printemps envoyés par la nature.
Les habitants de Shanghai appellent ces arbres des « platanes français » car ce sont les Français qui ont introduit l'espèce dans la ville. Selon les historiens, ce sont les immigrants venus de France au début du 20ème siècle qui les ont plantés sur toute l'ancienne Concession française pour lutter contre le mal du pays.
Les autochtones se sont ensuite tellement entichés des platanes français que la ville est aujourd'hui connue non seulement pour sa ligne d'horizon, mais aussi pour ses jolis boulevards bordés de ces arbres en rangs serrés. Certains disent que c'est aussi au charme de ces platanes français que Shanghai doit son surnom de « Paris de l'Orient ».
L'âge des arbres d'une rue fournit généralement une idée du nombre d'anecdotes liées au quartier. La « Xinhua Road » (anciennement « Avenue Amherest »), dont les arbres ont plus d'un demi-siècle, est l'un des lieux les plus chargés d'histoire de Shanghai. En fait, il y a deux ans, la municipalité l'a désignée par décret comme l'un des plus beaux boulevards de la ville.
Bien que cette rue à deux voies, qui traverse le district de Changning sur environ deux kilomètres, soit seulement à trois minutes en voiture du centre commerçant très animé de Xujiahui, le calme du coin rappelle à de nombreux résidents ce à quoi ressemblait la ville 20 ans avant l'explosion démographique majeure qu'elle a subie.
Le quartier abrite encore plusieurs bâtiments de deux ou trois étages de style occidental qui sont maintenant recouverts de lierre, et ces structures constituent une juxtaposition ravissante aux immeubles résidentiels construits dans le style local, certains l'ayant été il y a près d'un siècle.
La « Xinhua Road » était traditionnellement le lieu qui accueillait les hôtes de l'État dans les années 1970 et 1980. Huang Minghua, 85 ans, qui y vit depuis les années 1960, dit que dans le passé, seules les personnes ayant fait l'objet d'un examen politique pouvaient solliciter un permis pour y séjourner. Le quartier était tellement sélect que les appartements donnant sur la rue étaient réservés aux responsables gouvernementaux.
Les riverains se souviennent aussi que la rue était fermée à la circulation pour laisser passer le cortège de voitures transportant les dignitaires invités de l'État. Les élèves des écoles primaires formaient le premier rang de l'assistance de chaque côté de la route tandis que des artistes et des soldats de l'Armée populaire de libération formaient le deuxième. Les civils occupaient les rangs suivants.
« Nous étions debout sur des chaises pour regarder le cortège », dit M. Huang. « Nous étions vraiment enthousiastes quand il arrivait, mais je n'osais pas crier de peur de dire quelque chose d'inconvenant. Nous ne pouvions pas toujours voir les dirigeants qui passaient car seul le chef d'État d'un pays socialiste prenait place dans une décapotable, les autres étant dans des véhicules dont les rideaux étaient tirés derrière les vitres ».
Un autre résident, Wang Changxiong, 78 ans, se souvient que le premier hôte de l'État dans le quartier a été Haïlé Sélassié, alors empereur d'Éthiopie, venu à Shanghai en 1971. Il dit aussi avoir réussi à apercevoir brièvement le président américain Richard Nixon en 1972. « Nous avions dû ôter, des étendoirs aux fenêtres, tous les vêtements et tout le linge de maison pour la visite de Nixon », précise-t-il.
Tout à côté, la « Shaoxing Road » (anciennement « Route Victor Emmanuel Ⅲ ») est une rue à deux voies longue de 400 mètres qu'il serait facile de manquer, ne fût-ce pour ses platanes témoins d'une histoire tout aussi riche.
Dans cette rue renommée pour les maisons d'édition qui la bordent, les bâtiments, dont la plupart ont 80 ans, ont vu au fil des décennies des générations d'écrivains et d'éditeurs venir y travailler. L'air qu'on y respire est un mélange particulier des effluves defeuilles des arbres, d'encre et de papier.
Au numéro 27 se dresse une énorme villa construite en 1936 qui a été transformée en restaurant avec jardin spécialisé dans la cuisine shanghaienne. C'est un cadre très recherché pour les réceptions de mariage en raison de son magnifique jardin, sur lequel donnent les baies vitrées allant du sol au plafond de l'entrée.
Du Yuesheng, le seigneur du crime qui régnait sur les bandes du Bund dans les années 1930 et 1940, avait à une époque acheté cette propriété de trois étages pour sa troisième concubine, Yao Yulan, une actrice d'opéra de Pékin. Sa fille, Du Meiru, a indiqué un jour que la famille employait 17 domestiques. C'est dire la taille de la villa.
Mais les platanes ne sont pas exclusivement concentrés dans les sites historiques de Shanghai. On les trouve aussi dans de nombreuses autres rues de la ville, y compris celles de construction récente.
La rue piétonne de la Golden City, dans le quartier de Gubei du district de Changning, en est l'illustration. Les promenades qu'on y fait à pied ou à vélo sont pour les autochtones l'un des plus grands plaisirs de la vie à Shanghai.
La voie est ici bordée de bâtiments anciens et nouveaux, de cafés élégants et de charmantes ruelles entre des maisons avec jardin où les résidents font du jogging et promènent leur chien. La vie dans cette partie de Shanghai semble ralentie de quelques crans, et les scènes idylliques tout au long de la rue sont comme une antidote à l'agitation urbaine.