Parmi les interprétations contradictoires concernant l'animal du zodiac de l'année lunaire, il en est une qui fait honneur au singe.
Des 12 animaux du zodiac, le singe, s'il ne jouit pas du statut privilégié du dragon ou du tigre, est en général reconnu comme le plus proche de nous, les humains. Bien qu'il soit encore en grande partie péjoratif de comparer quelqu'un à un singe, le rapprochement est devenu plus acceptable du fait que la thèse très répandue de Darwin peut lui conférer une dimension scientifique.
C'est au zoo que la plupart des Chinois font leur première rencontre avec le parent des humains. Depuis quelques années, un certain nombre de parcs animaliers offrent une vision plus intime de l'habitat naturel de l'animal. On a par exemple signalé des cas de vol à la tire ou d'autres délits commis par des singes sur des touristes.
Il est encore rare d'adopter un singe comme animal domestique, et personne, à l'exception de quelques historiens, ne connaît l'ancienne fable chinoise qui attribue au singe une loyauté extrême, étrangement semblable à celle dont font état les récits les plus émouvants concernant les chiens.
Par bonheur, l'animal du zodiac 2016 est très présent dans la langue, les arts et la littérature du pays. La création littéraire sans doute la plus pittoresque de la Chine est un singe personnifié. Le Roi singe, dans le roman épique de Wu Cheng'en, Le Voyage en Occident, à l'époque de la dynastie Ming (1368-1644), a acquis une plus grande renommée dans le monde entier qu'aucun autre personnage du canon littéraire chinois. Mais les singes n'ont pas besoin de qualités super-héroïques telles que la capacité de voler dans les airs ou de changer la taille d'une arme à leur gré. Ils se présentent avec toutes sortes de particularités, qui ne sont pas forcément en harmonie les unes avec les autres.
On attribue au singe de nombreuses caractéristiques conflictuelles. D'un côté, il est synonyme d'impatience, comme en témoigne l'expression chinoise qui se traduit par « pressé comme un singe », mais d'un autre côté, l'origine de son nom, en chinois, renvoie à une forme d'intelligence qui incite à ne pas se jeter dans des situations incertaines. Jadis, quand les chasseurs utilisaient de la nourriture comme appât, les singes montaient en haut des arbres et guettaient un éventuel danger. Ils attendaient leur heure jusqu'à ce que le danger – les chasseurs en l'occurrence – soient partis pour aller chercher la nourriture.
« Singe », hou en chinois, a deux paronymes qui, contrairement à ce que l'on pourrait penser, sont effectivement reliés ensemble à la racine. L'un est denghou, qui veut dire « en attente », soit la tendance atypique à résister à une gratification immédiate. L'autre paraît un peu plus tiré par les cheveux : il se réfère aux anciens vassaux qui devaient jongler avec des forces mouvantes pour maintenir leur assise du pouvoir. Il leur a fallu acquérir la faculté de s'adapter avec ruse et de réagir rapidement, faute de quoi ils perdaient leur domaine, voire leur tête. On les appelait les zhuhou, mot qui serait dérivé du vocable désignant les primates.
L'expression anglaise « monkey business » (bêtises, manigances ou magouille) renferme certains des sens suggérés ci-dessus, tels que tricherie et tromperie, mais désigne la plupart du temps des farces ou des actes malicieux relativement inoffensifs, ce qui vient à l'esprit quand on associe l'expression au comportement de l'animal.
L'agilité et la malice sont sans doute les premières impressions que fait naître le singe chez tout un chacun dans le monde entier, quelle que soit la culture du lieu. Pour le meilleur ou pour le pire, les singes exhibent une forte tendance à semer la pagaille sinon à mettre des grains de sable ou tout ce qu'ils peuvent dans les rouages.
La langue anglaise a les expressions « grease monkey » (mécano, dans le sens de mécanicien) et « powder monkey » (aide-artificier), mais la chinoise comporte ce que l'on peut traduire par « singe maigre », qui a d'abord été employé comme surnom peu flatteur pour désigner un homme n'ayant pas beaucoup de graisse sur les os. J'ignore si cette caractéristique physique a inspiré l'expression argotique appliquée aux Sino-Américains dans l'Amérique du début du 20ème siècle. Dans les périodes de pénurie alimentaire, un singe maigre n'était certainement pas un objet de convoitise. Mais le pendule est passé à l'autre extrême : nous vivons à une époque où il vaut mieux être maigre que gros et les mannequins des défilés de mode ressemblent à des victimes de la famine. Et c'est ainsi que nous avons des annonces personnelles en chinois où l'annonceur se présente fièrement comme un « singe », surtout dans la communauté homosexuelle.
C'est sans doute par une cruelle ironie du sort que les singes sont ridiculisés pour leur bêtise. Le vieux proverbe chinois, « trois le matin, quatre le soir », provient de l'histoire d'un propriétaire d'animaux domestiques qui avait du mal à nourrir sa bande de macaques. « Et si je vous donnais trois châtaignes le matin et quatre le soir ? », demanda-t-il. Ses animaux se vexèrent. Alors il transigea : « Bon, d'accord, je vous en donnerai quatre le matin et trois le soir ». Et les singes furent satisfaits. Ce qui fut d'abord une allégorie de la tromperie finit par désigner un esprit capricieux.
Parmi les autres expressions péjoratives concernant l'animal du zodiac de cette année figure la phrase : « les singes règnent sur la montagne en l'absence d'un tigre », ce qui veut dire que les singes ne sont pas faits pour diriger mais seulement pour jouer les seconds rôles. Sans Sun Wukong, qui s'est couronné lui-même
« le beau Roi singe », le primate n'aurait jamais été associé à l'idée de confiance en soi ni même à une pointe de vantardise.
Les sentiments ambivalents que les humains nourrissent à l'égard du singe sont sans doute à l'origine de toutes les qualités contrastées qu'on lui attribue. Nous le considérons inférieur à nous, et pourtant nous projetons sur lui certaines des caractéristiques que nous chérissons sans vouloir l'admettre – depuis son intelligence espiègle jusqu'à son esprit rebelle. C'est là une chose qui ne nous grandit pas, mais qui nous met assurément en face de notre moi – et qui nous en rend fiers.